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Les souliers rouges
Éditions Lunatique juin 2017 ISBN : 979-10-90424-82-1 / 140 pages Prix : 14 €

Les souliers rouges

Que demandent ces paysans insoumis de la fin du Moyen Âge, qui s’insurgent autant contre les seigneurs que contre le clergé ? Un bouleversement social et spirituel. Le peuple n’en peut plus d’être malmené, accablé par les impôts, les taxes, le servage et le clergé qui spécule autant sur les céréales que sur les âmes. La guerre des paysans incarne une formidable et singulière révolution populaire qui chambarde les esprits autant que les corps.
Dans ce roman, la langue sonne, elle figure le visage de cette époque à la manière des peintres et des graveurs. Des mots souvent agglutinés comme les êtres, une langue innervée d’oralité, infusée du génie des dialectes à produire des images.

Premières pages

« Au mois de novembre, à partir de la Saint-Martin,
le gel grippa les arbres, pourchassant jusqu’au coeur des
troncs la sève en retrait. Ils se détachèrent, noirs, sur le
ciel blafard que leurs branches cherchaient à crocheter.
Le valet Jeckelin était pendu à un hêtre, accusé d’avoir
incendié la ferme de son seigneur. Son corps, rigide
comme un battant de cloche, heurtait par grand vent
le tronc de l’arbre et sonnaillait son propre glas, mat
et lugubre. Il avait été pendu à la hâte, son crime étant
surtout d’appartenir à la bande de rustauds en révolte,
le Bundschuh, conduite par Sepp Jost. Il est chançard
qu’il ne se putréfie pas et que les corbeaux ou les rolliers
ne puissent l’écharpiller, dit sa soeur Katel. Elle
allait tous les jours sous le hêtre en haut de la petite
colline, auprès du corps de son frère, le dernier. L’épidémie
de peste avait mené au trépas les autres membres
de la famille. C’était misère, cette jeune fille tapant des
pieds, autant de froid que de rage contre les assassins
de son frère bien-aimé. Sonne le tocsin, mon frère !
Que tous nous rassemblent, morts et vivants, pour aller
traire les ribauds qui nous lassent si fort chaque jour,
nous crèvent la peau jusqu’aux boyaux !
Jeckelin s’effondra avec son arbre. Katel enveloppa
l’homme gelé dans une couverture de feutre qu’elle
noua aux deux extrémités avec sa corde de pendu.
Elle le hortracta et le coucha au fond d’un creux dans
la forêt proche et, péniblement, baquet par baquet,
rapporta de la terre meuble du fond d’une grotte et
en revêtit son frère. Elle tassa la tombe avec ses pieds.
Lorsqu’elle revint à Lingolslzheim, elle se martetapait
le front avec ses doigts et criait à tous ceux qui la croisaient
: « Ici gît. »